L’action-recherche
Auteur : sereconstruireetsinserer - Date : 21 mars, 2008
Prostitution et mondialisation : mondialisation des origines, hétérogénéité des parcours et processus identitaires
L’ambition de cette mise en oeuvre était de réaliser une action-recherche par les acteurs sociaux des associations partenaires Amicale du nid Paris et Montpellier, Altaïr et Raih, concernés par la problématique des personnes immigrées en situation de prostitution et intéressés par cette forme d’implication, sous la coordination scientifique de Saïd Bouamama, sociologue et spécialiste dans ce domaine de recherche.
Les objectifs :
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Produire du savoir sur l’interaction entre le processus migratoire et le processus prostitutionnel. La production formalisée d’un savoir permet de prendre en compte les connaissances tacites produites d’après l’expérience professionnelle des acteurs sociaux et de les compléter avec des connaissances explicites issues de cette action-recherche. Les résultats de l’action-recherche, sous la forme d’un ouvrage, permettent ainsi d’expliciter les connaissances acquises et de formaliser les nouveaux savoirs pour que les acteurs sociaux impliqués dans la problématique de la prostitution se réapproprient ce savoir dans sa globalité.
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Repérer des mutations dans les pratiques des professionnels du champs social à partir du vécu de la recherche. Cette mise en oeuvre a été, pour les participants, formatrice en terme de postures éthiques et de démarches méthodologiques. Les modalités de l’écoute ont été transformées et des dimensions nouvelles ont été introduites dans les entretiens. La notion de trajectoire et celle du système de contraintes sont des notions valorisées et réappropriées dans le travail de rencontre entre le bénéficiaire et l’acteur social. Au-delà des acteurs sociaux qui se sont impliqués dans cette action-recherche et qui ont su adapter leur pratique professionnelle à l’issue de cette expérience, cette mise en oeuvre doit être exploitée par d’autres acteurs concernés par la problématique d’interaction entre migration et prostitution dans leur quotidien professionnel.
« Tous les projets qui souhaitent quand même avancer, innover dans un objectif de trouver un accompagnement ou trouver mieux, trouver une meilleure qualité de prestations m’intéressent [...] ça me permet régulièrement de réfléchir à partir des renseignements que peut-être on n’avait pas bien repéré et ça permet de donner un plus au travail, aux professionnels du secteur social que nous sommes et un regard qui est extérieur. »
Entretien – Altaïr
« Participer à une recherche m’intéressait. Avoir la chance que nous soit proposé un terrain de recherche, dans nos fonctions au sein des services sociaux, ne pouvait que m’intéresser.»
Entretien – Altaïr
« Au niveau personnel, ça m’a permis de beaucoup plus réinterroger mes postures de rencontre avec les autres et surtout aussi ça m’a permis de comprendre l’importance de prendre en considération la notion de parcours pour les personnes. Je le faisais avant mais je n’avais pas cette intellectualisation de cette démarche là. [...] Ce que l’action-recherche a produit a modifié ma pratique professionnelle. Ce que je disais de façon épisodique ou informelle, maintenant je prends le temps et la forme pour le dire parce que pour moi il est important que la personne qui est en face de moi sache que je suis conscient du système de contraintes. »
Entretien – ADN Paris
« Le cheminement des personnes, leur histoire en fonction du pays, la famille, les contextes, c’est passionnant et c’était une ouverture supplémentaire à travers cette action-recherche de découvrir un peu plus leur milieu, leur sensibilité, leur difficulté aussi. [...] Je pense que ça a été absolument incroyable, une aventure incroyable, ces personnes qui ne pouvaient pas parler, enfin quand elles parlaient de leur histoire certains ne comprenaient rien et, du coup, c’est donner à voir quelque chose qui n’est pas accessible pour nos instances. Le barrage de la langue c’est une chose, mais au-delà du barrage de la langue y’a tout un vécu, y’a des traumatismes. [...] Et pour nous maintenant, la façon d’aborder certaines choses avec les personnes que nous recevons, c’est une expérience passionnante que je recommande à tous travailleurs sociaux qui ont à faire avec l’humain, avec l’autre, avec l’altérité.»
Entretien – ADN Paris
La méthodologie :
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Construction de la problématique
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Production des outils d’investigation
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Réalisation des entretiens semi-directifs
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Analyse des matériaux
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Proposition d’hypothèses de changements des pratiques professionnelles
Les difficultés :
La difficulté majeure a été celle d’effectuer régulièrement des entretiens selon l’échantillonage défini. Une fois passé le premier volet des personnes fréquentant assidûment les associations, le rythme des entretiens a ralenti par le manque de personnes disponibles et disposées à être interviewées. Deux principales raisons sont mises en avant : premièrement, le fait que les personnes n’acceptent pas si facilement d’être interrogées et, deuxièmement, le fait que les référents sociaux informent peu ou mal les personnes sur l’importance du témoignage dans une recherche. Des réticences ont donc été constatées de la part des bénéficiaires mais aussi de la part des acteurs sociaux ayant une « responsabilité » professionnelle envers eux, réticences qui ont freiné (mais non pas arrêté) la collecte des données. Cette difficulté de transmission et d’orientation, vécue chez les acteurs sociaux en tant que référents, est un point intéressant qu’il faut prendre en considération lors des montages de projet et surtout au démarrage de la mise en oeuvre d’un projet. Une analyse plus approfondie est proposée dans la partie « outil » du blog, analyse qui reprend cette difficulté dans l’action-recherche mais aussi dans certains ateliers.
« Pour la recherche, en particulier, qui proposait des professionnels extérieurs, la philosophie générale était de transmettre l’information et de laisser décider la personne mais les collègues allaient rapidement arguer que si elles diffusaient, informaient, déjà elles cautionnaient. En fait, elles transmettaient l’information mais, pour elles, c’était déjà cautionner, donc c’était inciter les personnes à y aller.[...] Et là, on avait un vrai problème d’ouverture d’esprit. Et là, on a réussi assez vite et là ma place a joué, en disant qu’il faut laisser les chercheurs chercher donc laisser le public décider. Mais ce n’était pas toujours facile parce qu’ils avaient l’impression de mettre en danger les personnes. »
Entretien – Altaïr
« Les deux secteurs du champ social avec des professionnels tels que les assistants des services sociaux et les éducateurs spécialisés sont un peu contre tout ce qui est à l’initiative d’autres corps de métier, d’autres professionnels, par exemple, universitaire ou dans le cadre d’une recherche aussi. Y’a plus ou moins une interrogation, ils s’interrogent sur la légitimité, sur les compétences donc il y aussi une espèce de confrontation. »
Entretien – Altaïr
« Moi, j’ai gardé ce souvenir un petit peu émouvant des difficultés qu’avaient créées les uns et les autres [...] des difficultés d’avoir des personnes, d’avoir des candidats à l’interview, d’avoir du matériel en fait, on était disponible à faire les interviews [...] mais il nous manquait du matériel, des personnes, on ne nous orientait pas suffisamment de personnes. »
Entretien – Altaïr
« Les collègues ne pensaient pas forcément quand ils recevaient une personne à nous l’adresser. Dans certains services, on se demandait la légitimité de se faire interviewer, enfin voilà, ça posait des espèces de questions qui, à mon avis, n’en étaient pas, parce que de toute façon c’est une recherche, c’est anonyme, les personnes qui ont accepté ont accepté sans problème. Ca n’a pas été bien perçu parce que c’était comme si on était à part. Ca a fait tilt le jour où on a parlé de la fin de l’étude, ils ont su sur quoi on travaillait, comment ça se passait.»
Entretien – ADN Paris
Les résultats :
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La remise en cause de représentations sociales
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L’introduction de nouvelles dimensions dans l’entretien d’aide
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La relativisation des schémas explicatifs dits « classiques » pour prendre en compte d’autres déterminants dans le parcours des personnes migrantes et prostituées
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La compréhension des formes de contraintes et la diversité des réseaux de prostitution
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La connaissance de nouvelles modalités qui s’articulent autour de la migration et de la prostitution
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Une nouvelle lecture concernant le marché prostitutionnel
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La mise en place de recommandations et de préconisations concernant la pratique professionnelle des acteurs sociaux
La dynamique du groupe de recherche
Au-delà des résultats issus de la production de l’action-recherche, il est à noter que les échanges relationnels ont permis la réalisation d’un nouveau tissage de liens professionnels entre les participants de cette mise en oeuvre : c’est se rencontrer, faire connaissance, se connaître au sein d’une même structure associative et entre structures partenaires. C’est aussi un réseau informel de professionnels du secteur social, construit à partir des séances de travail, qui est le résultat d’échanges autour de la problématique étudiée et qui peut aussi amener à un enrichissement des pratiques professionnelles. Ainsi, les participants à la recherche ont constitué un groupe producteur de savoirs parce que diversifiés : ils étaient chercheurs, éducateurs spécialisés, psychologues, assistants sociaux, chefs de service… Les approches, les points de vue et les méthodes de chacun d’entre eux correspondent à leur formation et à leurs expériences professionnelles, ce qui induit des positions différentes. Autour de débats et d’échanges d’idées, une dynamique de groupe a été créée autour de ces différences qui ont amené une complémentarité et une ouverture d’esprit. La diversité des profils professionnels auraient pu être une difficulté, elle a été, en fait, un atout puisque les « acteurs sociaux-chercheurs » dans cette mise en oeuvre ont dépassé leur propre cadre de pratique professionnelle.
« On n’a pas toujours l’occasion [de rencontrer], d’une manière régulière, sur un thème précis, les professionnels d’autres services et d’échanger avec. [...] On avait, par exemple, des personnes qui avaient un autre parcours professionnel à Montpellier ou, en même temps, d’autres expériences [...] ils ont d’autres compétences qui sont différentes. Ils ont un autre regard [...] Ce sont des professionnels qui ont une autre façon de voir les choses avec le même public. »
Entretien – Altaïr
« Ce que j’ai trouvé de très intéressant dans cette recherche Equal, c’est le fait qu’on ait pu faire ça avec des collègues de services différents, de fonctions différentes, dans des qualifications différentes les uns des autres. Assez vite, assez rapidement, ça c’est fédéré. [...] C’était une expérience de convivialité de travail avec des partenaires du social. Ça me paraît toujours très intéressant et très riche qu’on puisse arriver à trouver un consensus de travail et de réflexion quand on est d’horizon différent. »
Entretien – Altaïr
« Je sais qu’à la fin de l’action – recherche, j’ai des collègues qui ont été frustrés de ne pas y participer. Finalement, ils ont vu qu’il y a eu un travail fait, ils ont vu qu’il y a eu des entretiens faits, ils ont vu, surtout, une dynamique, une dynamique d’équipe, de groupe, de personnes qui ne se connaissaient absolument pas, qui venaient de différentes structures mais qui avaient plaisir à produire du savoir ».
Entretien – ADN Paris
« L’idée a été géniale. Disons que toutes les personnes qui se sont inscrites dans ce groupe-là étaient des passionnées quelque part, par autre chose que vraiment le travail social, c’était vraiment… il y avait quelque chose de l’ordre du voyage, de l’au-delà, de frontières, enfin elles étaient très sensibles à cela aussi parce qu’elles ne s’arrêtaient pas aux questions qu’elles posaient, elles reposaient, elles revenaient sur les questionnements, elles étaient très sensibilisées. Tous les travailleurs sociaux qui ont participé étaient très sensibilisés. [...] L’équipe était géniale, on s’est vraiment tous soudés, on a appris à se connaître les uns les autres. On était de plusieurs services, donc on a appris à travailler ensemble, ce n’est pas rien, on avait jamais fait de travail sociologique de cette façon là, c’était quelque chose de très très constructif pour nous. »
Entretien – ADN Paris
Une pointe d’humour…
Le texte qui suit a été écrit et lu par l’une des participantes à l’action-recherche lors de la journée de restitution de l’étude pour les acteurs sociaux des structures associatives partenaires impliquées dans le projet, le 8 novembre 2007 à Paris.
« Nous avons effectué une recherche animée par un sociologue aux compétences incontestables mais dont la méthode d’animation est dépassée. Nous avions beau lui dire (particulièrement, à propos de la restitution d’aujourd’hui…) que donner la parole aux participants d’un groupe de travail, solliciter leur avis et, qui plus est, avoir la prétention de les faire participer à la prise de décisions, c’était « has-been »… Rien n’y a fait, il a maintenu sa position. Certains d’entre nous ont usé d’inventivité pour dénicher les meilleurs restaurants du secteur, nous avons bien mangé mais les horaires ont été tenus.
Nous nous sommes donc mis au travail et réunis chaque mois. Nous avons recueilli, décrypté, interprété les données de la recherche. Nous avons pris la parole, donné notre avis, ajusté nos points de vues et participé à la prise de décisions.
Il y en a même qui sont venus de loin : Montpellier ! La première fois, quand on les a vu arriver essoufflés, (ils avaient pris le premier TGV pour Paris) et repartir pressés en fin de journée, pour ne pas rater « celui du soir », on s’est dit : « ils ne reviendront pas »… Mais ils sont revenus et ils sont restés. D’ailleurs c’est un peu en hommage que nous sommes allés finaliser notre travail de retranscription et d’analyse des données de la recherche, chez eux, sur place, à Sète.
A propos de ce séjour à Sète, les horaires de travail ont été discutés. Ceux que nous annonçait Saïd, nous paraissaient peu conciliables avec la proximité de la mer… (on nous avait dit que nous aurions à protéger notre matériel informatique, le sable entrant dans la salle de travail). Aussi avons-nous mis en application les principes démocratiques qu’il nous avait enseignés, c’est à la majorité que nous avons décidé de nous en tenir aux 35 heures… Sur place, ce fut loin d’être le cas et même, au regard de nos dépassements de temps de travail, c’est Saïd lui-même qui imposait la fermeture de la salle de travail! Et si nous ne sommes pas revenus plus bronzés que nous l’étions en partant, c’est que le moment où nous avons le plus profité de la mer était en soirée, au clair de lune, pour écouter la guitare de Jessy. »
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Visualiser des extraits du film D’un monde à un autre qui abordent les notions de réseaux prostitutionnels et l’accompagnement social à l’Amicale du nid.
Les réseaux prostitutionnels : témoignage
L’accompagnement social à l’Amicale du nid : témoignage (partie 1)
L’accompagnement social à l’Amicale du nid : témoignage (partie 2)